JUSQU’À SATURATION
FRANCK NOTO
EXPOSITION PERSONNELLE
DU 27 MAI AU 8 JUILLET 2023
Intérieur jour, atelier de Franck Noto. Nous sommes à quelques jours du vernissage de l’exposition et dans la tête de l’artiste la scénographie est prête. Debout, face à une oeuvre en cours de réalisation, la tête penchée sur le côté, il réfléchit – encore. Car rien n’est immuable. Voilà des semaines qu’il mûrit quelque chose, au plus profond de lui. Des semaines qu’il teste, essaye, défait et refait parfois dans le silence et l’introspection, bien souvent dans cette folie douce et solaire qui l’anime au quotidien.
Et puis un jour, on sent que l’énergie a changé là-haut. Une sorte de frénésie créatrice s’est emparée de lui et on se dit : « ça y est, il tient le bon bout ». Un coup d’oeil dans son atelier suffit à nous laisser entendre que quelque chose est entrain de changer, que ce trait si symbolique et si reconnaissable est entrain d’évoluer lentement, qu’une nouvelle énergie est en cours de traduction. Un coup d’oeil à gauche, un autre à droite et un sentiment qui commence à nous envahir : on est comme submergé.
Vient le temps de poser le regard pour tenter de comprendre ce que l’on ressent. Des toiles remplies de matière et puis ce trait, effréné et excité, qui laisse peu de place à la respiration. Ce trait qui sature le support jusqu’au débordement, porté par la charge d’une vibration intense. Ce trait qui retranscrit une énergie brute, nue, sans artifices, au service des émotions ressenties là, maintenant. Plus on observe, plus on ressent cette obsession sous-jacente qu’est le désir de combler les espaces en répétant ce mouvement et cet enchaînement : l’artiste, l’outil, la toile. L’un indissociable de l’autre, au risque de mettre en péril cette machinerie savamment rodée.
Petit à petit on décèle l’intention et on devine le message caché sous l’amas de matières mais pas de couleurs, car cette fois elles sont discrètes. Peut-être parce que c’est le trait qu’il faut retenir, comme si on faisait de la place pour ne garder que l’essentiel, l’expression d’une émotion dans sa forme la plus pure. Franck Noto est comme un vaisseau chargé d’énergies qu’il ne peut révéler qu’à travers le geste. À la manière d’un oscillographe capable de retranscrire l’activité électrique par des courbes plus ou moins denses, on perçoit un ensemble de formes rythmées comme la fréquence d’une pulsation. Ces formes, entrelacées les unes avec les autres, révèlent tout un cheminement technique et sensoriel que l’artiste ne peut maîtriser que grâce à ce trait.
Le temps qui passe, ce paramètre inexorable et complexe, nous dit l’histoire de ce qui est passé et de ce qu’il adviendra. Son emprise sur la matière capture les spectres d’une vieille histoire du temps où le graffeur qui s’apprêtait à peindre se confrontait à la décrépitude d’un mur où chaque morceau tombé révélait quelque chose de son prédécesseur. Franck Noto puise dans cette ambiance quelque peu fantasmagorique lorsque, sans trop réfléchir car guidé par son instinct, il fait apparaître des chemins disparus.
Il peint et remplit jusqu’à saturation, pour ne laisser aucune chance à l’à peu près, aucune place à l’hésitation. On se met à imaginer l’artiste pris dans une sorte de danse électrique dont la chorégraphie mêle un geste, une intention et une émotion.
Laura Mari